De la science aux intrigues, des carnets manuscrits aux relectures à voix haute, l’écriture m’est une aventure exigeante, parfois épuisante, mais toujours guidée par la curiosité et la rigueur.
Chaque roman naît d’un cheminement singulier, mais tous obéissent à un socle commun : une longue phase de documentation, suivie d’une construction patiente et parfois tortueuse de l’intrigue.
Des sujets scientifiques à la fiction
Pour trois de mes premiers romans (Requiem pour un poisson, Noir Austral et L’équation du chat), l’idée de départ s’est enracinée dans des sujets scientifiques que j’avais moi-même explorés professionnellement. En rencontrant des passionnés et en découvrant l’histoire de ceux qui avaient défriché ces domaines avant eux, j’ai progressivement façonné mes intrigues autour de personnages inspirés de ces trajectoires.
Dans le cas de Web Mortem, la démarche a été différente : c’est un article sur les langues disparues – et non un thème scientifique que je maîtrisais déjà – qui a déclenché le projet. À l’époque, j’avais songé à la physique quantique, mais mon éditeur trouvait ce terrain moins fertile. Je me suis donc plongée pendant huit mois dans ce nouveau champ, que je ne connaissais pas, avant de bâtir un synopsis détaillé puis de me lancer dans l’écriture.
Une organisation exigeante
Chacun de mes romans a nécessité une phase de recherche plus ou moins longue – de quelques mois à plusieurs années. Le record revient à L’Équation du chat, dont l’élaboration a duré cinq ans. Le sujet, la mécanique quantique, m’était familier mais demeurait trop complexe pour être livré tel quel au lecteur. J’ai adopté une écriture « en entonnoir » : rédiger une première version, la tester auprès de néophytes, repérer les zones d’opacité, réécrire en clarifiant, recommencer… jusqu’à obtenir un texte intelligible et, je l’espérais, captivant. Ce fut un travail titanesque, éprouvant, mais qui m’a valu la fierté d’entendre certains lecteurs me dire qu’ils avaient enfin compris la physique quantique.
L’évolution du rapport à l’écriture
Mon premier roman, Requiem pour un poisson, s’est écrit presque « en flux continu » : j’avais accumulé une montagne de documentation, la première version dépassait les 900 pages, que j’ai ensuite réorganisées et élaguées au fil des conseils éditoriaux. Avec Noir Austral, la difficulté était ailleurs : reconstituer l’Australie d’il y a 70 000 ans, inventer une langue à partir de fragments des 200 idiomes encore parlés par les Aborigènes… Pour Web Mortem, l’écriture fut plus aisée, sauf la partie mésopotamienne finalement supprimée par souci de rythme. Quant à L’Équation du chat, ce fut une véritable épreuve de persévérance, mais aussi un accomplissement.
Une voix singulière : Le jour où je serai orphelin (et suites)
Avec Le jour où je serai orphelin, l’expérience fut radicalement différente. L’écriture s’est imposée à moi comme une sorte de voix intérieure : celle d’un enfant de sept ans, surdoué mais déjà animé de pulsions meurtrières. Le texte est né de manière presque automatique, comme si j’étais habitée – ou possédée – par ce narrateur. La fluidité était là, mais le travail ne s’arrêtait pas pour autant : il m’a fallu traquer systématiquement les redondances, épurer les répétitions, et surtout me contraindre à n’utiliser que le vocabulaire accessible à un enfant de cet âge, malgré son intelligence hors norme. Cette contrainte stylistique a donné au roman une couleur particulière, entre naïveté apparente et noirceur glaçante, qui a marqué de nombreux lecteurs.
Un rythme différent aujourd’hui
Aujourd’hui, mon rapport à l’écriture a changé. L’expérience accumulée m’empêche d’écrire « en automatique » comme au début : je connais trop bien les écueils à éviter, ce qui ralentit mon rythme. Je m’appuie sur une documentation plus légère, moins envahissante, et sur des synopsis plus souples, que j’accepte de voir évoluer au gré de l’histoire et de mes personnages.
J’ai aussi renoué avec l’écriture manuscrite : stylo et papier pour la première ébauche, puis reprise et structuration sur ordinateur le lendemain. Chaque passage est relu à voix haute pour vérifier la « musique » du texte, corrigé à la main, puis intégré dans la trame numérique. Cette alternance est devenue un véritable mode de travail : le stylo libère, l’ordinateur organise !