On parle souvent d’« écriture » comme d’une technique : tracer des caractères, ordonner des idées, transmettre savoirs et émotions. Mais, pour moi, elle est bien plus que cela. Après avoir navigué entre nouvelles, mémoires, thèses, articles scientifiques, vulgarisation et thrillers à coloration scientifique, je me suis retrouvée à écrire ce qui allait devenir la trilogie réunie sous le titre Je suis un monstre.
Pour ces romans, je me suis glissée dans la peau d’un gamin trop intelligent, trop malheureux… et qui fait tant de dégâts autour de lui. Cette immersion a été bien au-delà de la simple création : cela a été une « peau » qui commandait mon cerveau, verbalisait à ma place ce qui arrivait à cet autre qui n’existait que dans ma tête. Au fil des années, j’avais phagocyté des poissons préhistoriques, des mathématiciens autistes, des musicologues amoureuses, des pseudo-linguistes vengeurs, des vieilles âmes désaxées… Mais Tom était différent.
Avec Je suis un monstre, il a bouleversé mes habitudes d’auteure. Lui qui n’a que sept ans (et même s’il est très intelligent) m’a imposé ses tics de langage, ses approximations grammaticales, ses pensées dérangeantes. Il a envoyé valser mes règles sur la construction du suspense, mon refus des redondances et des répétitions. J’en suis arrivée presque à regarder de l’extérieur ma main écrire sur la page. Qui, de lui ou de moi, avait envahi l’autre ?
Ce phénomène de quasi « écriture automatique » m’a autant interrogée qu’émerveillée. Peut-être était-ce le personnage, peut-être le thème. Une chose est sûre : l’élaboration de cette trilogie n’a rien eu d’une mécanique froide. Cela a été une expérience d’incarnation. Et elle m’a rappelé combien l’écriture pouvait être, à la fois, vertigineuse et libératrice.